dimanche 8 juin 2014




Jean-Pierre CANOT                                                               BERGERAC le 3 juin 2014



                          Lettre ouverte à :
Monsieur le Président de la République
Palais de l'Elysée

55, rue du faubourg Saint-Honoré
75008  Paris.




Monsieur le Président,


« Labourage et pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée, les vraies mines et trésors du Pérou »

Maximilien de Béthune Duc de Sully, ministre des finance et ami d’Henri IV, avait parfaitement compris que l’agriculture est le principal facteur limitant du développement économique, et qu’il est vain et inutile de développer les autres secteurs, surtout dans l’inutile et le superflu, si l’agriculture n’atteint pas un niveau suffisant.

Réformes structurelles, déjà ! Voies de communication, abolition de péages, liberté du commerce des grains, protection des forêts, facilitation d’acquisition de biens communs impossibilité de saisir bétail et outils de travail etc.
Il va enfin pousser les paysans à produire plus que nécessaire afin de vendre à d’autres pays.

Et  notre bon Roi Henri d’accompagner cette politique par son célèbre : « Si Dieu me donne encore de la vie je ferai qu’il n’y aura point de laboureur en mon Royaume qui n’ait moyen d’avoir une poule dans son pot. ».

C’est bien l’Homme qui est au cœur du problème, le secteur primaire devant se développer à partir et autour de lui dans un contexte exclusif d’agriculture familiale.

« Nous, les Ministres de l'Agriculture ou du Développement Rural et l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture réunis à Paris le 25 février 2014, au Salon International de l'Agriculture, nous confirmons notre volonté de participer pleinement à l'année internationale de l'agriculture familiale, proclamée par l’Assemblée générale des Nations Unies ».

Et notre Ministre de l’agriculture de rappeler à cette occasion : « L’agriculture familiale nourrit 70 % de la population mondiale ».

Nombre de nos concitoyens ont ces jours-ci trouvé un peu dommage que dans le contexte de crise économique grave que nous vivons, vous donniez l’impression d’être, plus qu’à l’agriculture, attaché à l’inutile ou au superflu quant aux composantes de notre économie. C’est donc Clairefontaine pour le football, et sombre lumière pour l’art très abstrait, qui ont eu vos faveurs, dans un moment grave où les Français auraient aimé que vous vous préoccupassiez plus des éléments concrets de notre économie que de futilités, qui ont certes leur importance mais dont il est indécent de considérer qu’elles sont, au travers de leur prise en compte dans le PIB, un élément de la croissance économique.

C’est à l’occasion de votre déplacement dans l’outre-noir et le clair-obscur de Pierre Soulages, que votre conseiller en agriculture, qui cherchait sans doute là bas à vous éclairer sur de graves problèmes agricoles, a été  placé en garde à vue par des agriculteurs mécontents, à juste titre, de celle, la garde à vue, infligée à des agriculteurs au bord du désespoir et dont l’unique façon d’être entendus est le recours à la violence.

Si l’agriculture sous le bon roi Henri avait un caractère familial symbolisé par une poule dans chaque pot, nous en sommes arrivés en cette année internationale de l’agriculture familiale à mettre mille vaches, non pas sur un plateau, mais dans une même étable, ce qui provoque la juste colère des agriculteurs, les vrais, mais ne parait pas plus vous affecter que Monsieur le Ministre de l’agriculture ou le Gouvernement.

Les encouragements sournois, que l’on observe de plus en plus, de l’agriculture industrielle, et la protection de celle-ci contre les actes d’agriculteurs désespérés, laissent à penser lorsqu’on prétend participer pleinement à l’année de l’agriculture familiale, que l’on prend les gens pour des demeurés et, ce qui est plus grave, que la notion de famille doit être remise en cause sans discussion possible, ce qui est d’ailleurs fait par la sinistre pitrerie de la réforme du mariage et par les mascarades qui l’accompagnent.

Une ferme de mille vaches à Abbeville, un aéroport international qui, à  Notre Dame des Landes, sacrifie des dizaines d’exploitations familiales et détruit le bocage, symbole d’une agriculture familiale raisonnée, voilà bien deux preuves entre autres de cette volonté farouche de détruire cette culture rurale qui permit si longtemps d’assurer notre richesse de base.

Protégeons nos valeurs ! clamez vous régulièrement, ces valeurs ne sont hélas plus à vos yeux celles millénaires sur lesquelles repose la famille, mais celles de l’argent et du grand capital qui persiste à produire de l’argent avec l’argent.

La France première puissance agricole européenne souffre cruellement, et aura du mal à surmonter la crise du fait que le secteur primaire, élément essentiel de l’économie, disparaît progressivement depuis la fin des années 60 où le sinistre Sico Mansholt, nouveau fléau de Dieu, proposait une politique agricole démentielle. Les agriculteurs français ne représentent plus que six pour cent de la population active.
C’est précisément ce caractère familial qui fit la force de notre agriculture au travers de son organisation selon le modèle coopératif et mutualiste, le vrai et non celui dégradé que nous connaissons désormais.
Il était essentiel ce caractère familial pour le respect d’un des principes de base de la coopération agricole, celui de proximité. La construction des tours de Babel économiques de l’Union Européenne et de la mondialisation ont bien mis à mal ce principe avec les conséquences dramatiques que nous vivons. Ce n’est d’ailleurs pas la réforme territoriale qui va arranger les choses, alors que disparait toute notion de taille humaine dans le regroupement des structures administratives
Permettez-moi de parler finance, puisqu’il faut désormais tout y ramener. La France disposait depuis la fin du XIXème siècle d’un merveilleux outil coopératif et mutualiste de financement de son agriculture, il n’en  reste strictement rien !
« Le Crédit Agricole sera agricole comme le Crédit Lyonnais est Lyonnais ! » prédisait Jean-Marie Dauzier dans les années soixante-dix, non seulement c’est fait, mais on entend désormais assurer le financement des plus pauvres, en particulier des agriculteurs non industriels, au moyen de la micro finance ou de l’inénarrable crowdfunding : financement par la populace, les deux constituant les toutes premières étapes d’un modèle déjà connu à Babylone et que nous sommes désormais incapables de dépasser.
Le problème est que dans le secteur agricole, les banques jouent de moins en moins leur rôle de financiers de l’économie, mais constituent un secteur économique à part entière où il faut faire de l’argent avec l’argent.
C’est dans cette activité, qui relèverait à la limite du délit d’émission de fausse monnaie, qu’une grande banque française est condamnée à une amende de  l’ordre de dix milliards de dollars, pas loin du gain estimé sur dix ans de la réforme territoriale.
Imaginez un instant Monsieur le Président que dans le cadre de l’année internationale de l’agriculture familiale on ait pu disposer en France d’une telle somme pour former et installer dix mille jeunes agriculteurs, qui serviraient de modèle pour poursuivre. Cela aurait représenté, ce qui n’est pas rien, un million de dollars pour chacun, et vous eussiez pu dire : « J’ai fait qu’il n’y ait point de laboureur en la République qui n’ait moyen avec sa famille, même décomposée, d’avoir une poule dans son pot. ». 

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président l’expression du plus profond respect dû à votre haute fonction.